vendredi 8 janvier 2010

La Releve .... Extraits Mémoires Hadj Moulay BENKRIZI


Assis à gauche : Mohamed BENSEMMANE - à Droite : BENKRIZI Fodil assis devant Yacine BENSEMMANE- BENYAHIA Benyahia et Hadj Bouzidi BENSLIMANE Derriere, Chikh Khaled zaouia alaouia

Année 1967


Les répétitions se déroulaient à un rythme régulier sous des auspices très favorables. La « S.M.A.C.C » venait de s’enrichir de deux nouvelles recrues avec l’arrivée de Hadj Abed Benameur et surtout de Hadj Benyahia Benyahia, le frère du Chahid et grand mélomane Belkacem Benyahia qui a donné son nom à la célèbre Avenue Anatole France du centre ville. Si les deux nouveaux venus ne sont pas musiciens, ils feront preuve néanmoins d’un grand dévouement pour l’épanouissement de la jeune association et la promotion de la musique classique. Aussi, leur arrivée est-elle ressentie par tous comme un encouragement réconfortant susceptible d’apporter une aide non négligeable à la logistique du groupe en formation ; d’autant plus que Hadj Benyahia – (ancien membre de « Ettouria » par qui j’avais été contacté) -- allait manifester le désir d’apprendre à chanter en intégrant la chorale. Il fut très vite rejoint en cela par mon fils aîné Fodil âgé de dix ans, Lakhdar Bentounès et Si Khaled Bentounès, celui-là même qui allait succéder quelques années plus tard à son père le Cheikh Si Hadj Mehdi Bentounès à la tête de la Zaouïa Alaouia.


Il ne faut surtout pas omettre de souligner que l’adhésion de ces deux derniers éléments était essentiellement dictée par le souci du Cheikh Hadj Mehdi, d’apporter en plus d’une contribution matérielle et financière substantielle, un soutien moral et psychologique de la Zaouïa pour contrecarrer certaines réticences et autres manœuvres et querelles de clocher.


1973

Ensuite, il convient de signaler un deuxième évènement de taille qui allait marquer durablement les premiers pas du « nouveau-né » jusqu’à imprimer des traces indélébiles notamment chez les cadets de ce que les milieux associatifs et culturels commençaient à connaître sous l’appellation de « Nadi El-Hilel Ettaqafi ». Il s’agit de la « Fête Nationale de la Jeunesse » initiée par le Ministère de tutelle à l’occasion des festivités commémoratives du 5 Juillet.

A ce titre, il n’est pas sans intérêt de faire remarquer que la Ville de Mostaganem a été retenue par ledit Ministère pour abriter les épreuves éliminatoires de qualification pour toute la région Ouest du pays. Bien plus, les services de la Sous-Direction de la Jeunesse et des Sports de la Wilaya n’ont pas trouvé mieux que de désigner un jury régional de six membres dont pas moins de quatre sont issus des rangs du Nadi.


Il va sans dire que cet « honneur » constituait pour nous, au mieux une arme à double tranchant, au pire un cadeau empoisonné dans la mesure où nous avions décidé d’engager dans la compétition nos jeunes poulains de moins de dix sept ans qui, tout heureux de ce « don du Ciel » et dans leur naïveté juvénile, se frottaient déjà les mains devant cette aubaine inespérée.

Mais pour nous, il fallait bien convenir que nous étions confrontés à un tragique dilemme : Une tentation immorale et dégradante d’avantager nos jeunes protégés qui se voyaient déjà qualifiés sans l’ombre d’un doute d’une part, et une attitude pleinement responsable et noble où seuls le travail et l’effort auraient eu droit de cité, d’autre part.

De plus l’approche que nous voulions imprimer au Nadi en tant qu’école de formation, et l’éducation culturelle que nous nous proposions d’inculquer à cette génération montante et ô combien adulée, nous faisaient obligation de respecter, en toutes circonstances certains principes sacrés sans jamais nous écarter d’une déontologie intangible que nous souhaitions voir appliquer en priorité à nous-mêmes.

Un choix difficile certes, que l’honnêteté intellectuelle et morale de chaque juré aura permis de surmonter sans coup férir.

C’est toujours avec un sourire des plus indulgents que je me remémore encore les mines défaites de nos petits chérubins, à l’annonce des résultats au sortir de la salle de délibérations, en dépit de l’heure très avancée de la nuit.

 Mais quelle belle leçon de civisme et de probité à l’adresse de tous ceux qui avaient nourri des doutes sur l’objectivité et l’impartialité des personnes considérées non sans raisons, comme juges et parties.

Cependant, comme dans un drame cornélien, le devoir finit toujours par prendre le dessus sur toute autre considération subjective ou affective.

Sur ce point, la surprise et la satisfaction qui se lisaient au même moment dans les regards inquiets des jeunes candidats venus de toute l’Oranie, et de Tlemcen en particulier, contrastaient singulièrement avec les sentiments d’abattement et d’impuissance dont ils ne s’étaient pas départis pendant toute la durée des épreuves.

Dans le cas présent notre but était atteint et le devoir accompli. Les jeunes cadets du « Nadi El-Hilel Ettaqafi » auront au moins bénéficiéde plusieurs enseignements et non des moindres, à savoir :

  1. Compter uniquement sur ses propres ressources et aptitudes ;
  2. Atteindre ses objectifs par le travail et l’effort personnels ;
  3. S’interdire toute forme ou velléité de tricherie ;
  4. Placer le devoir au dessus de toute considération ;
  5. L’honneur doit primer l’intérêt en toute circonstance
  6. Enfin la probité demeure toujours payante.

Le mieux serait de relire attentivement le P.V. ci-après établi à l’issu des délibérations du Jury à l’intention du Ministère de la Jeunesse et des Sports :

« Le lundi 4 Juin 1973 à 18 heures s’est réuni pour délibérer dans les bureaux de la Sous-Direction de Mostaganem, le Jury des éliminatoires régionales de la Fête de la Jeunesse – (Section Musique) – sous la présidence de Monsieur Benslimane, et en présence de M. le Sous-Directeur de la Jeunesse et des Sports, et de M. Boucherit Benaouda, Inspecteur à Mostaganem.

Le Jury se compose de Messieurs :
  • BENSLIMANE, Président ;
  • BENKRIZI, Secrétaire de séance ;
  • BENYAHIA Benyahia ;
  • NASRI Ismaïl.
  • TAHAR Mohamed ;
  • MOHAMED-RABAH Touati ;
Les résultats dégagés à l’issue des travaux qui se sont déroulés dans la salle du Cinémonde les 2 et 3 Juin 1973 ont permis de proclamer les résultats suivants :

SERIE « CHAABI » :
1er : LYCEE BENZERDJEB Tlemcen = 237,5 points
2ème : LYCEE ZERROUKI Mostaganem = 228 points
3ème : NADI CHABAB Debdaba = 212 points

SERIE « ANDALOU »
1er : C.E.M. MAQARRI Tlemcen = 243 points
2ème : NADI EL-HILEL ETTAQAFI Mostaganem = 242,5 points

Remarques :

Considérant la diversité spécifique des styles qui caractérisent ces deux ensembles – (Ecole de Tlemcen d’un côté, Ecole d’Alger de l’autre) –

Compte tenu de la faiblesse de l’écart qui sépare la notation des deux formations en présence, le Jury recommande à l’unanimité de sélectionner l’une et l’autre pour les épreuves finales d’Alger.

Aussi étant inspirés par un souci d’équité, et s’appuyant sur des considérations inhérentes à la richesse de notre patrimoine andalou, le Jury et Monsieur le Sous-Directeur de la Jeunesse et des Sports ont décidé de retenir les deux formations précitées.


En conclusion, le Jury unanime tient à féliciter M. DIFALLAH, Sous Directeur de la D.J.S. à Mostaganem pour la perfection qui a présidé au succès et à l’organisation matérielle de cette manifestation, ainsi que par sa contribution personnelle dans le bon déroulement des différentes opérations.

Les mêmes félicitations sont adressées à ses collaborateurs directs notamment MM. BOUCHERIT Benaouda et MELIANI, tous deux Inspecteurs à Mostaganem pour leur dévouement inlassable et leur participation constante pendant toute la durée des travaux.


Par ailleurs le Jury remercie M. AIT AISSA, Sous Directeur au Ministère d’avoir bien voulu rehausser par sa présence le prestige de cette importance manifestation de l’Art et de la Jeunesse, et se félicite des entretiens fructueux qu’il a eus avec ce haut fonctionnaire, traduisant ainsi la volonté du Pouvoir Révolutionnaire de faire collaborer directement la base avec les Instances les plus élevées de la hiérarchie.


Il tient enfin à remercier tout particulièrement le Ministère de la Jeunesse et des Sports pour son choix de la Ville de Mostaganem comme Centre Régional de concours, confirmant par là les prétentions et les aptitudes de cette localité en tant que ville d’Arts et de Culture.

Le Président                                                                                   Le Secrétaire de Séance

BENSLIMANE Bouzidi                                                                 BENKRIZI Moulay Ahmed
(Fin de citation)

De ce qui précède, on remarquera qu’hormis la série « Individuels » dans laquelle devait briller un jeune élève du Nadi avec une avance indiscutable de trente deux points, toutes les autres catégories ont vu l’émergence de formations concurrentes devant celles de Mostaganem. Qu’on en juge :

• « Folklore » : Mostaganem est devancée par El-Bayadh avec pas moins de 30 points d’écart.

• « Chorale » : Mostaganem distancée par Tlemcen et Tiaret avec 28 et 5,5 points d’avance.

• « Andalou » : Mostaganem battue par Tlemcen avec 0,5 point d’écart.

• « Chaâbi » : Même dans cette discipline où pourtant la ville de Mostaganem excelle, c’est Tlemcen qui arrive en tête avec une avance de 9,5 points.

On notera cependant que la prestation remarquable réalisée au cours de cette phase éliminatoire par l’ensemble andalou du Nadi El-Hilel Ettaqafi placée sous la direction du jeune Fodil BENKRIZI, lui a permis de participer et de se distinguer aux épreuves finales d’Alger.

Note de l'auteur du blog : Les musiciens présents lors de la finale à Alger, se sont classés DEUXIEME PRIX NATIONAL, apres Blida et devançant Tlemcen

1980

Mais là un fait nouveau, très important, allait se produire, révélant au grand jour la nécessité de songer d’ores et déjà à préparer une relève efficiente qui soit capable de prendre au pied levé le flambeau en cas de besoin. Pour ce faire il convenait de s’imprégner d’une volonté audacieuse visant à responsabiliser les jeunes cadres appelés à jouer les premiers rôles dans un proche avenir. Qu’en est-il exactement ?

Ne pouvant effectuer personnellement le déplacement dans la ville de Mefrouche El-Ourit (Tlemcen) pour des raisons d’ordre professionnel, se posait alors pour le Nadi le problème de la Direction Technique de l’orchestre lors de son passage sur scène. Un vent de panique soufflait en effet dans les rangs des élèves de la classe supérieure et même au sein du Comité qui appréhendait sérieusement de se voir contraint, pour la première fois, de déclarer forfait.


C’est alors que nous eûmes l’idée, Hadj Bouzidi et moi, de désigner un Chef d’orchestre suppléant pour la circonstance. Les répétitions sur place étant bien évidemment assurées par mes soins, il convenait de confier cette lourde responsabilité à celui qui offrirait les plus grandes garanties de maîtrise, de sang froid et de réflexes pour affronter sans appréhension un public de quatre à cinq mille fins connaisseurs, sans compter les caméras de la Télévision Algérienne appelée à couvrir cette importante manifestation d’envergure nationale.

Sur ce point précis j’avais ma petite idée, mais sans rien dévoiler à personne, j’ai préféré demander son point de vue à Hadj Bouzidi qui me répondit sans hésiter : « Mais nous avons Fodil ! Tu verras qu’il s’en sortira ! Faisons lui confiance ! ».

Et voilà comment le jeune Fodil Benkrizi se vit propulser du jour au lendemain par la force des choses, au rang de Chef d’orchestre – (par intérim il est vrai) – à l’âge de vingt deux ans.

S’agissant d’une première, il est évident que tout le monde au Nadi, y compris l’intéressé, avait pleinement conscience de la gravité de la situation et du poids considérable de la mission dont était soudainement investi notre oiseau rare. En d’autres termes, on lui demandait ni plus ni moins que de conduire ses jeunes camarades vers le succès dans une nouba complète du mode « Dil ».

Pour la petite histoire, je signale que j’ai pu quand même rejoindre la cité de Sidi Boumediene au dernier moment, en compagnie de Hadj Abed Benameur, moins d’une heure avant le passage sur scène de mes poulains qui crurent au miracle de me voir prendre enfin la direction de l’orchestre à la dernière minute. Mais combien grande fut leur déception d’apprendre que rien ne devait être changé au plan établi et que ma présence fortuite n’était destinée qu’à leur apporter un soutien moral et psychologique sans plus. De fait, la prestation fut une réussite parfaite et souleva comme d’habitude une moisson d’applaudissements très nourris d’un public aussi nombreux qu’enthousiaste.

De son côté, assis au premier rang parmi les invités d’honneur, le regretté Hadj Bouzidi était aux anges et recevait les compliments des personnalités qui l’entouraient avant d’aller rejoindre « ses petits gars » dans les coulisses pour les féliciter un par un, avec un mot gentil pour chacun comme il avait coutume de le faire.

Force est de constater que, tous ensemble, nous venions de remporter une immense victoire psychologique sur nous-mêmes, renversant en cela tous les préjugés et autres mythes préconçus en faisant simplement confiance à la jeunesse, à condition de savoir la prendre en mains d’une manière sérieuse et responsable, de la sensibiliser sur des principes et des notions simples et nobles à la fois comme l’amour du travail bien conçu par exemple et la persévérance devant la difficulté notamment.

Quoi qu’il en soit, il faut dire que nous étions loin, très loin de la période où ma présence physique était considérée comme un facteur indispensable à tous les stades d’activité du Nadi, au point où ma seule absence suffisait à faire annuler une simple répétition ordinaire. Aujourd’hui, était enfin arrivé le moment de savourer les fruits d’une décennie de travail laborieux et d’efforts soutenus. Et dans ce résultat, la main de Hadj Bouzidi n’était pas étrangère.


1984

le mercredi 11 Juillet plus exactement, tout ce joli monde était à nouveau à l’aéroport d’Oran-Tafraoui pour prendre le vol d’Alger en vue de participer au 1er « Festival de Musique Andalouse » à l’initiative cette fois de l’O.R.E.F.

En outre, étant hébergées dans l’immense complexe touristique « El-Manar » de Sidi Fredj, les formations « invitées » à ce festival eurent également l’honneur d’inaugurer la superbe Salle Ibn-Khaldoun appelée désormais à prendre le relais du T.N.A. pour toutes les manifestations de cette nature.

Les trente trois éléments de la formation mostaganémoise eurent à se produire dans une nouba sans grande nouveauté dans le bon vieux mode Maya sous la baguette, ou plutôt sous l’archet de Fodil appelé à me suppléer une fois de plus.


Mais cette fois mon absence sur scène était justifiée par un cas de force majeure très compréhensible dans la mesure où ma présence à Mostaganem était commandée par l’arrivée dans nos murs d’un grand ami très cher : En l’occurrence Hadj Mohamed Khaznadji sollicité pour animer une fête familiale chez Hadj Safa Bentounès.

En effet, comme nos relations personnelles avec le Maître étaient connues de tous, c’est tout naturellement à ma modeste personne que Hadj Safa eut recours en vue de prendre contact avec le Cheikh et mettre au point les modalités de cet engagement dont l’échéance était fixée précisément au Jeudi 12 Juillet, soit le jour même du retour du Nadi à l’issue de sa prestation au niveau de la Salle Ibn-Khaldoun. De ce fait, je considère qu’il était de mon devoir d’être présent et d’accueillir personnellement mon Maître et ami qui était ce jour-là, accompagné entre autres, par le regretté Mohamed Bahar et, pour la première fois Anisse, le fils de Hadj Abdelkrim M’hamsadji, à la mandoline.

Enfin signalons pour l’anecdote que la soirée battait son plein quand nous eûmes l’agréable surprise d’être rejoints par Hadj Bouzidi, Fodil, Fayçal, Omar et tout les autres qui venaient juste de rentrer d’Alger, sans même prendre le temps de passer à la maison. Une belle démonstration d’amitié et de reconnaissance pour le Maître qui, soit dit en passant, n’avait accepté, une fois de plus, d’animer ce mariage à Mostaganem que pour « le plaisir de revoir des amis très chers » selon sa propre expression.

1986

Or dans les deux cas, ces manifestations grandioses se dérouleront en mon absence, ce qui ne les empêchera pas d’obtenir, l’une et l’autre, un énorme succès qui méritait d’être souligné au profit du Nadi, tant il est vrai que la phase préparatoire qui les avait précédés avaient été menée avec un soin particulier sous ma direction personnelle.

La première des deux nous mènera jusqu’aux contreforts de Lalla Setti où, contrairement aux éditions précédentes, l’immense cour du Lycée Benzerdjeb sera abandonnée cette année-là au profit du magnifique stade « Birouana » flambant neuf. Mais curieusement, force est de constater que cette nouveauté ne semble pas avoir recueilli l’adhésion du grand public tlemcénien qui a manifesté sa désapprobation en boudant peu ou prou les soirées d’un festival auquel il paraissait pourtant fermement attaché.

Quant au Nadi toujours couvé comme un bébé par un Hadj Bouzidi omniprésent, il était hébergé cette fois aussi à l’Hôtel « Maghreb », tandis que, sur le plan technique, la trentaine de musiciens avait pour mission d’exécuter une envoûtante nouba « Ghrib » sous la direction du jeune Abdelkader Ghlamallah, en l’absence également du premier suppléant attitré Fodil, empêché par une intervention chirurgicale à cette même période.

S’agissant du second rendez-vous inscrit au programme, il avait pour décor les sites féériques de Sidi M’cid et des Ponts Suspendus des Gorges du Rhummel ; et pour cadre le 5ème Festival du Malouf avec une participation du Nadi à deux soirées comme d’habitude. Mais cette fois grâce à Dieu, Fodil était complètement rétabli de son opération et pouvait dès lors assumer la direction de l’orchestre en mon absence en interprétant deux noubas dans les modes Zidane et Ghrib dont j’avais peaufiné personnellement la mise au point avant mon départ pour les Lieux Saints.

Naturellement, dès mon retour, j’ai immédiatement repris mes activités à la barre technique du Nadi, non sans avoir rendu grâce au Tout Puissant de m’avoir comblé en m’octroyant simultanément, dans Son infinie bonté, santé et suffisamment de moyens financiers licites sans recourir à l’aide de quiconque.

En principe l’année était presque achevée quand les membres du Comité de l’Association me demandèrent mon sentiment sur l’opportunité de prévoir « quelque chose » à l’occasion du Mouloud Nabaoui Charif ; ce que je ne pouvais qu’accepter volontiers, évidemment.

C’est donc une nouvelle fois au « Raquette-Club », mais pour notre propre compte cette fois, que nous avons organisé à la date du 20 Novembre 1986 une soirée de gala à l’intention de ce brave et bon public mostaganémois qui visiblement, supportait assez mal une mise en veilleuse prolongée de nos activités fébriles coutumières.

Pour la circonstance, nous avons pensé à rendre la politesse à nos amis de l’Association « Nahda » d’Oran pour leur aimable invitation du mois de Ramadan écoulé, et de solliciter la présence symbolique de Hadj Mohamed Khaznadji en qualité d’invité d’honneur à cette soirée mémorable.

Connaissant très bien les sentiments du Maître à l’égard des Mostaganémois, du Nadi et de ses dirigeants de l’époque en particulier, nous n’avions pas le moindre doute sur la nature de sa réponse à notre requête.


Mais nous étions encore en deça de la réalité puisqu’il ne se contenta pas seulement de répondre favorablement à notre invitation. Il poussera la délicatesse jusqu’à refuser catégoriquement la prise en charge à notre compte du montant du billet d’avion Alger-Mosta-Alger. Force est de constater qu’il existe heureusement des hommes exceptionnels pour qui les valeurs morales, intellectuelles et humanistes sont au dessus de toute considération matérielle ou mercantile. Le Maître Khaznadji est de ceux-là.


ANNEE 1987

Mon dernier déplacement en Europe remontait déjà à 1982 et la tentation de prendre quelques jours de vacances m’incitait à envisager sérieusement l’opportunité de m’offrir ce petit luxe – (encore abordable, dans tous les sens du terme) – lequel en réalité, n’en était pas un.

L'Espagne étant à peu près soumise au même cycle climatique que nos régions du littoral algérien, il convenait donc d’éviter autant que faire se peut, la période estivale de manière à se prémunir des grosses chaleurs caniculaires et échapper par là-même, à l’afflux massif des flots de touristes Européens et Américains en mal de soleil et d’évasion exotique.

Ces deux paramètres étaient suffisants pour me faire opter pour la seconde moitié du mois de Mars qui présentait en outre, l’avantage de coïncider avec les vacances scolaires de printemps, ce qui permettait à Fayçal de profiter de l’aubaine en accompagnant son père et sa mère dans ce voyage en terre ibérique.

Or il se trouve que la participation du Nadi au 3ème Printemps Musical a été fixée par le C.F.V.A. d’Alger au 21 Mars, soit à la même période que j’avais retenue pour ce fameux voyage familial en Espagne.

Ce sera donc, une fois de plus sous la baguette de Fodil que l’ensemble mostaganémois, amputé de deux de ses éléments de base, se produira sous les feux de la T.V. dans un « Mezdj » des plus subtils s’articulant cette fois sur les modes « Rasd » et « Mezmoum » auquel prenait part en tant que soliste pour la première fois, la jeune voix suave et envoûtante de Fadéla Nekrouf.

Là-dessus, était-ce une farce du destin ou une délicate attention à l’actif de mes jeunes et fidèles élèves qui ont voulu profiter de mon absence pour m’offrir un somptueux cadeau sous la forme d’une distinction très honorable concrétisée par un superbe 3ème Prix national, inscrit en lettres d’or au palmarès de l’Association ? Je ne saurais le dire. Probablement les deux à la fois. Donc, merci les gars.

Car en plus d’une prime non négligeable de cinq mille dinars empochée par notre regretté Trésorier Omar Berber, ce résultat des plus flatteurs était très opportunément relevé par « El-Moudjahid » du 29-3-1987 sous ce titre expressif :

« Espoirs en soprano » :

« L’Association ‘’Nadi El-Hilel Ettaqafi’’ de Mostaganem n’a commencé vraiment à activer qu’à partir de l’année 1968 sous la direction de Moulay-Ahmed Benkrizi qui fut l’élève de Hadj Omar Bensemmane et du Maître Belhocine. « Ils ont mis à la disposition des adhérents de l’association, nous dit le secrétaire adjoint de l’association, tout leur savoir-faire ».

De plus, cette association comprend quatre classes, à savoir : Deux classes supérieures’’ A’’ et ‘’B’’ ; la ‘’C’’ dite moyenne et la ‘’D’’ qui est celle des élèves de huit à douze ans auxquels sont dispensés des cours d’initiation de musique classique algérienne.

La formation participante a interprété, sous la direction du chef d’orchestre Moulay-Ahmed Benkrizi un Rasd et Mezmoum, dont un M’cedder qui n’a jamais été chanté par une association, intitulé ‘’Ya Badr El-Boudour’’, un B’taïhi, un Derdj, deux Insirafs, deux Khlass et une Qadria qui est un chant spécifique aux voix de femmes et d’enfants (Soprano).

Dans la pièce d’un Khlass harmonieux savamment exécuté dans un mouvement très vif, il a été mis en évidence toute la technique et la maîtrise tant de l’orchestration que de l’instrumentation des musiciens de cette formation dont le style, faut-il souligner, relève de l’école d’Alger.

C’était vraiment merveilleux … »
Signé : A Ounouh
(Fin de citation).

On comprendra dès lors, qu’à la lecture de tous ces commentaires laudatifs et comptes rendus hautement élogieux qui se succèdaient dans la presse, je ne puis m’empêcher de songer avec une émotion bien réelle : Mon Dieu ! Qu’il était loin, très très loin le temps où pas même une simple répétition n’était possible sans ma présence. Non, décidément « Mostaganem n’avait pas tout dit » en effet.

Il ne fait pas de doute que ce printemps de la cuvée 1987 allait se révéler en parfaite adéquation avec les vertus créatrices qu’on lui reconnaît volontiers en matière de floraisons saisonnières.

Dans ce contexte, Dame nature n’était pas la seule concernée par cette métaphore en ce sens que le Nadi voyait non sans plaisir en cette période privilégiée, l’éventail de ses activités s’enrichir au point de ne lui laisser aucun répit pour une nécessaire mise à jour de ses préparations. Mais jugez plutôt :

Depuis les temps héroïques de la glorieuse « Section de Musique Andalouse du Cercle du Croissant », les plus anciens se souviennent encore d’un jeune chanteur Chaâbi, du nom de Abdelkader Bendamèche parmi les pionniers de ces années 1967/68.

Agé à l’époque d’une vingtaine d’années à peine, ses capacités intellectuelles et ses ambitions légitimes firent de lui un haut fonctionnaire, cadre supérieur au niveau central du Ministère de la Culture.

1988


Pour commencer, j’ai jugé opportun de ne pas faire le déplacement d’Alger, abandonnant une fois de plus le soin au pauvre Fodil de diriger l’orchestre à ma place dans une nouba du mode Raml-Maya entièrement enregistrée par la TV, mais qui ne fut malheureusement jamais diffusée.

1990

Incontestablement, il était écrit quelque part que l’année 1990 serait celle des grands bouleversements qui allaient, à coup sûr, affecter le cursus du Nadi dans le sens positif bien sûr, mais aussi et surtout dans un sens tout à fait opposé, hélas.

Il faut rappeler que le retrait de Hadj Bouzidi en 1988 n’était nullement le fruit d’une saute d’humeur ou d’une quelconque maladie diplomatique. Un tel comportement ne correspond en effet, ni à son profil ni à ses habitudes.

C’est qu’à soixante dix huit ans, l’homme était réellement usé et donnait des signes évidents de fatigue et d’épuisement qu’il dissimulait mal derrière une façade pétrie de volonté, de force de caractère et de soumission au Créateur Tout Puissant.

Ses visites au Nadi se faisaient de plus en plus rares, mais il aimait bien passer presque quotidiennement au cabinet médical de Fodil qui profitait alors pour l’examiner, le conseiller sur son état de santé et surtout discuter avec lui.

Par ailleurs, malgré son attachement viscéral aux valeurs du Nadi, sa disponibilité exemplaire de s’y consacrer pleinement, et les résultats éminemment élogieux obtenus, Hadj Bouziane Benguettat manifestait, de son côté, le désir de prendre du recul et de transmettre à son tour le flambeau à la jeunesse montante pour poursuivre la mission sacrée de leurs aînés et continuer l’œuvre réalisée jusque là.

Je dois ajouter que toute la faconde et la puissance de persuasion dont j’étais capable n’eurent aucun effet sur sa détermination de se décharger définitivement de la présidence qui semblait lui peser.

Toutefois, croyant avoir trouvé la « solution-miracle » pour l’inciter à demeurer à son poste jusqu’au jour où, simultanément lui et moi, déposerions ensemble le tablier, il eut cette réplique pleine de bon sens et de conviction : « Il est assurément plus facile de trouver un président de substitution qu’un Maître » !

Je compris alors que sa décision était irrévocable, mûrement réfléchie et que rien ni personne ne l’amènerait à changer d’avis. Que faire dans ce cas ?

Il ne restait plus qu’à trouver quelqu’un qui répondît à plusieurs critères fondamentaux, notamment :

  • Etre un enfant de la Maison.
  • Disponible, intègre et volontaire.
  • enfin musicien si possible.
En un mot, un homme réunissant toutes les qualités morales et intellectuelles de ses illustres prédécesseurs. L’oiseau rare si l’on peut dire.

Et de fait, l’unanimité s’est faite rapidement sur le nom du Docteur Sidi Mohammed Fodil Benkrizi qui deviendra ainsi le huitième President du prestigieux Nadi El-Hilel Ettaqafi, démocratiquement élu par l’Assemblée Générale avec l’assentiment du Président sortant, Hadj Bouziane Benguettat et la bénédiction de notre doyen à tous, l’irremplaçable Hadj Bouzidi Benslimane qui devait ajouter en guise de conclusion à cette A.G. : « Je sais maintenant que le Nadi est entre de bonnes mains. Je peux mourir tranquille, l’âme en paix ! »

Le pauvre homme ! Il ne pensait pas si bien dire. C’est comme s’il avait eu une vision prophétique ou prémonitoire induite par un sixième sens tout à fait inaccessible au commun des mortels.

En effet, quelques temps plus tard, très exactement cinq jours après avoir assisté à un ultime concert animé par « son cher Nadi » au Cinéma « Afrique », il finit par rendre son dernier souffle le 1er jour du mois de Ramadan correspondant au mardi 27 Mars 1990.

Paris 1990
Ainsi, il s’en est allé comme partent les grands hommes de sa trempe. Sur la pointe des pieds, comme pour éviter de déranger ceux qu’il quittait pour l’éternité. Dans la simplicité aussi, car tout à fait conscients de leur importance et des regrets unanimes suscités par un départ prématuré que nous aurions souhaité voir reporter à des décennies plus tard.

Dors en paix, très cher Hadj Bouzidi ! Toutes ces centaines de musiciens et de chanteurs formés grâce à ton initiative lumineuse, un certain jour de 1967, grâce à ta générosité aussi et à ta persévérance te disent très simplement et tous en chœur :

“ALLAH YARHAMEK YA ‘AMMI EL HADJ !

NOUS NE T’OUBLIERONS JAMAIS “



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