L’engouement pour ce genre de festivités était si grand chez les Mostaganémois qu’un groupe de mécènes plus « mordus » que les autres et incapables de résister trop longtemps à la nostalgie de savourer leur musique préférée, prit l’heureuse initiative d’organiser au cours de l’année 1950, un gala grandiose animé par la prestigieuse « El-Mossilia » d’Alger au grand complet.
Le spectacle eut lieu dans les salons du « Grand Hôtel » au centre-ville et parmi l’orchestre, on remarquait la présence de noms illustres, tels les deux frères Mohamed et Abderrezak FAKHARDJI, Abderrahmane BELHOCINE, Sid Ahmed SERRI, Mustapha KECHKOUL et bien d’autres musiciens tous aussi célèbres les uns que les autres.
La participation aux frais de cette manifestation artistique et culturelle était fixée à un droit d’entrée de mille francs par personne et la soirée connut un immense succès auprès de la population locale au nombre de laquelle on ne pouvait toutefois remarquer ma présence, et pour cause.
Je dois souligner que ce n’était nullement l’envie qui me faisait défaut, mais encore une fois, à cette époque, ce genre de spectacles ne m’était pas du tout accessible en raison de la précarité de ma situation économique et financière.
Il m’aura fallu attendre l’année 1952 pour voir le passage de Sid Ahmed SERRI à l’occasion du mariage d’un de mes cousins, le regretté H’mida BENGUETTAT aujourd’hui disparu.
C’était la toute première fois que le disciple et futur successeur du Maître Abderrezak FAKHARDJI se produisait dans la Cité de la Salamandre ; et je me souviens qu’il était accompagné, ce jour-là, par deux éminents musiciens ayant pour noms Abdelghani BELKAÏD, virtuose du violon et le regretté Mohamed MAZOUNI à la mandole .
On peut dire que « l’examen de passage » de celui que les connaisseurs surnommaient déjà le « rossignol » fut une réussite totale si l’on en juge par les nombreuses invitations auxquelles il eut à répondre à partir de cette date à Mostaganem.
Par ailleurs, j’ai expliqué comment la musique Andalouse me laissait, durant les premières années de mon adolescence, plutôt indifférent, alors que je me sentais fortement attiré par le « Chaâbi » et par la chanson « Äsri » (Moderne) et même « Cherqi » (Orientale) que la fougue de nos impulsions nationalistes tendait à propulser au rang de modèle.
Cependant un évènement des plus banals allait provoquer en moi une métamorphose fulgurante que je ne puis m’expliquer encore. Plus que cela. Il s’agissait en fait d’un phénomène incroyable dont les effets étaient appelés à prendre avec le temps une dimension incommensurable doublée d’une valeur intrinsèque à la puissance exponentielle.
Le maître d’œuvre involontaire de cette mutation était d’ailleurs beaucoup plus porté à inculquer et à propager cette musique savante dans les conservatoires et autres associations spécialisées grâce à ses grandes compétences et une maîtrise magistrale de cet art grandiose.
Il s’agit du professeur Abderrahmane BELHOCINE qui avait la charge d’animer en cette année 1951 le mariage d’un de mes amis d’enfance, ancien camarade de classe au Lycée René Basset, Hamid BENKRITLY.
Je dois avouer, qu’au départ la perspective d’une soirée andalouse ne m’enchantait guère d’autant plus que le cheikh, nonobstant sa classe incontestable dans la hiérarchie des maîtres dans le style « Sanâa » n’avait pas la réputation d’être un rossignol. Cependant mon devoir me commandait d’y assister en raison des solides relations d’amitié qui me liaient au futur marié. C’était donc presque par devoir et par courtoisie que je me suis résolu à faire – (en mon for intérieur) – tout juste un « acte de présence » purement formel.
Heureusement ! Je loue le ciel de m’avoir inspiré dans cette prise de décision, tant il est vrai que cette soirée m’aura marqué au point que c’est tout mon devenir dans le domaine culturel qui venait de basculer à mon insu et cela … en l’espace d’une chaude nuit d’été.
C’est ainsi qu’entre neuf heures du soir et six heures du matin, nous eûmes droit à une évasion féerique où le rêve et la réalité se côtoyaient dans une ambiance vaporeuse, se prolongeant à l’infini jusqu’à se confondre avec la brume matinale et la rosée d’une aurore presque irréelle. Une aurore d’où s’exhalaient mille et une senteurs imperceptibles en écho à l’appel lointain du muezzin qui s’élevait dans un ciel limpide constellé de mille feux flamboyants jusqu’au firmament évoquant un décor surréaliste surgi des profondeurs du néant.
Le patio où se déroulait la fête n’était pas très vaste et ne pouvait contenir la totalité des invités en face desquels étaient dressées deux scènes richement décorées, chacune d’elles munie d’une installation de sonorisation adéquate. C’était la première fois qu’il m’était donné de constater une telle organisation. En effet, tous les mariages auxquels j’étais habituellement convié présentaient une seule estrade à l’usage de l’orchestre appelé à animer la soirée « tebita » .
(Photo ci contre : Tbita ou veillée de noces )
Effectivement l’une des deux installations fut aussitôt occupée par le Maître BELHOCINE, un alto à la main. Il était encadré par Hadj Mustapha SIKA à la mandoline et Belahouel BELADJINE au banjo. Tandis que sur la deuxième scène prenait place un chanteur Marocain du nom de Si Abdelkader BELHADJ El-Oujdi que je ne connaissais pas d’ailleurs. Lui aussi était accompagné par Hadj Djilali BENGHALI au violon alto (Photo ci contre avec l'auteur) et Abdelkader BELADJINE au banjo et deux percussionnistes.
Ce type d’organisation avait pour but d’épargner à l’assistance les désagréments générés par les temps morts entre deux noubas ou deux qacidas par exemple, du fait que le déroulement de la soirée devait s’opérer en « non stop » par les deux cheikhs se relayant à tour de rôle. Ainsi la structure générale du programme de la soirée n’était-elle pas compliquée à deviner. Nul besoin d’être grand clerc en la matière pour imaginer la répartition des genres musicaux entre les deux ensembles en présence.
Pour Si Abdelkader El-Oujdi, le haouzi et le moghrabi n’avaient aucun secret tant et si bien qu’il n’eut aucune peine à séduire une assistance avide de beauté, prompte à entrer en communion avec l’artiste dans une interprétation magistrale de l’inoubliable « El-Kaoui » que n’aurait pas désavoué son auteur, le célèbre poète Marocain Mohamed BOUAZZA. Quant au Maître Belhocine, que dire de sa prestation très « Andalousienne » ? Il avait pour mission de nous transporter avec délicatesse au royaume des Ommeyades pour nous faire visiter Cordoue avec ses haciendas verdoyantes, en passant par Grenade et ses jardins suspendus dont la beauté et la splendeur sont restées gravées pour l’éternité dans la nouba andalouse.
Pour ma part, je me dois d’avouer que je lui suis redevable de m’avoir fait découvrir ce qui correspond chez les astronomes rien moins que la face cachée de la lune. En d’autres termes, tout un univers très actuel et omniprésent mais non accessible cependant au commun des mortels sans une initiation à la « chose » comme celle dont nous a gratifiés ce soir-là, le Cheikh Belhocine.
C’est, en quelque sorte un monde à part réservé à une « élite » dont le mode d’adhésion ou de sélection n’obéit à aucune règle déontologique connue. Seuls y sont admis ceux et celles en possession du « Sésame » ou que la chance et le hasard ont placés sur le chemin de maîtres de la trempe de Belhocine et ses pairs. Ainsi, toute une nuit durant, ce fut une succession de noubas toutes plus belles les unes que les autres.
Je volais pour ainsi dire de découverte en découverte en prenant conscience de l’immensité inépuisable d’un répertoire aussi riche que varié et dont la grande beauté ne constitue que la partie visible de l’iceberg. J’étais littéralement subjugué, voire envoûté par une sorte de fluide magnétique proche de l’hypnose tout en restant cependant maître de ma lucidité, pour avoir conservé un souvenir impérissable des moments d’extase que je venais de vivre pour la première fois dans mon existence.
En tout cas, ma reconnaissance envers celui qui fut à l’origine de cette passion – (car ç’en est une) – pour cette musique savante n’a pas de limites. Le sentiment que j’ai éprouvé ce jour-là s’apparente ni plus ni moins qu’à un « coup de foudre » qui vous marque pour le restant de vos jours. D’autant plus que cette soirée allait bientôt être suivie par une seconde tout aussi mémorable à l’occasion du mariage d’un autre ami d’enfance et voisin en la personne de Belahouel BERBER qui allait devenir mon beau-frère quatre ans plus tard lorsque viendra mon tour de convoler en justes noces, un 26 Mai 1956.
Mais nous sommes encore en 1952, et ce jour-là le Cheikh Abderrahmane Belhocine était encadré à nouveau par Hadj Mustapha SIKA à la mandoline et un musicien d’Alger, Si Abdelkader BEREZOUG qui se trouvait par hasard à Mostaganem, en vacance chez sa famille. Cependant je dois à la vérité de dire par souci de rapporter fidèlement des faits authentiques que, comme en 1951, les deux accompagnateurs ne furent pas d’un grand secours pour le Maestro qui dut compter sur son seul talent et sa grande compétence pour ne pas décevoir ses très nombreux fans. Et là aussi tous les mélomanes présents à cette soirée n’eurent pas à le regretter. Ce fut donc, par la magie du verbe et de l’instrument une nuit inoubliable qui acheva de transformer en moi le culte naissant pour cette musique en une véritable vénération pour un art millénaire que je sentais m’envahir jusqu’au plus profond de mon être.
A cette occasion, je me souviens d’une anecdote savoureuse que je ne puis m’empêcher de vous livrer. Lors d’une pause entre deux noubas du Maître, et enhardi par les maigres connaissances en la matière que j’avais acquises par le biais de mon poste de T.S.F., je suis parvenu à surmonter ma timidité maladive pour demander avec beaucoup de tact et de courtoisie au Cheikh, de bien vouloir interpréter un célèbre « M’cedder » Zidane intitulé « Tahia Bikoum Koulou Ardine Tenzilouna Biha » attribué au poète Soufi Sidi Boumediène Choaïb El-Ishbili.
Il s’agit d’une pièce musicale très difficile, et bien sûr, ma demande était formulée en ces termes propres, c'est-à-dire appuyée très exactement de toutes les références spécifiques et techniques y afférentes, en utilisant les termes appropriés de « M’cedder Zidane » ainsi que le titre du poème etc. Toutefois, il est évident que ma requête n’était pas seule sur le tapis.
Elle était même noyée au milieu d’une dizaine d’autres toutes formulées par des invités d’âge mûr et surtout bien plus connaisseurs que moi. Il faut vous rappeler que nous sommes en 1952 et que je ne suis âgé que de vingt ans à peine. Par conséquent, il convient de se retremper dans le contexte de l’époque pendant laquelle les amateurs de musique andalouse n’étaient pas légion et les quelques « fans » qui s’y intéressaient figuraient pour la plupart parmi ce que l’on pourrait classer dans la rubrique du « troisième âge ».
Aussi, tout le monde était dans l’attente de la suite des évènements. Et de fait, après quelques minutes de repos bien mérité, le Maître repris sa place devant les micros, et les invités d’appuyer leurs requêtes à haute voix de manière à influer sur la décision de l’intéressé. Quant à moi, je me gardais bien de mon côté de joindre ma voix au tumulte ambiant d’autant plus que c’était en aparté que j’avais formulé mon souhait au Cheikh quelques instants auparavant en profitant d’une occasion au moment même où il regagnait son siège.
De sa main gauche, il prit alors son alto qu’il accorda d’un geste machinal et, sourire aux lèvres, il jeta un regard inexpressif et lointain sur l’assistance comme s’il cherchait une inspiration dissimulée quelque part. Le silence se fit immédiatement et l’on n’entendait plus que des chuchotements furtifs çà et là parmi ceux qui venaient de formuler leurs requêtes ; des supputations sur la prochaine nouba qui allait être entamée d’une minute à l’autre.
J’étais attentif comme tout le monde quand un menu détail attira mon attention aiguisée : Je remarquai en effet que l’annulaire de la main gauche du Maître était appuyé sur la note « Ré » de l’instrument. Le Ré qui est ni plus ni moins que la tonique du mode Zidane. Je compris alors que je venais de gagner la partie. Et de fait, le maestro entama un sublime Istikhbar Zidane suivi du M’cedder que je lui avais commandé avec déférence. Mais l’anecdote ne s’arrête pas là.
Quelques jours plus tard, alors que nous devisions entre amis sur la merveilleuse soirée des mille et une nuits que nous venions de vivre, je fus amené à parler tout naturellement de la fameuse requête et des suites qu’elle reçut quand un ami intime du Cheikh m’apostropha brusquement en me disant très amicalement : « C’était donc toi le mystérieux jeune homme que le Cheikh avait remarqué durant la soirée et dont il ne cesse de parler en termes des plus élogieux … »
Quoi qu’il en soit, j’ai pu vérifier plusieurs années plus tard qu’il se souvenait encore de ce « jeune homme distingué », notamment durant les années 1957, 1968 jusqu’en 198O. D’ailleurs nous aurons à revenir sur ce point.
Pour l’heure, je voudrais simplement ouvrir une petite parenthèse pour expliquer certains points soulevés dans ce récit :
J’ai pris soin de signaler ci-avant que pour les deux prestations auxquelles j’avais assisté en 1951 et 1952, BELHOCINE était accompagné par Mustapha SIKA et Belahouel BELADJINE entre autres.
A ce titre il faut souligner qu’il n’est un secret pour personne que la Perle du Dahra recèle un effectif appréciable de musiciens de talent et il est aisé d’imaginer que le Maître n’avait dès lors que l’embarras du choix pour se faire accompagner. La question qui se pose désormais est de savoir pourquoi ces deux instrumentistes plutôt que d’autres. C’est que ce choix était, semble-t-il, dicté par des considérations de compétence et d’aptitude tant il est vrai que la nouba andalouse requiert des connaissances spécifiques particulières qu’il faut impérativement avoir étudiées au préalable, contrairement au style chaâbi plus libre et moins rigoureux en tout cas.
Or il se trouve que ces deux musiciens ont eu la chance de connaître et de fréquenter à partir des années 1946 le regretté Si Habib BENTRIA. Alors qui est ce Monsieur ?
Né en 1902 à Mostaganem, cet autodidacte était depuis 1930 un fervent amateur de musique andalouse « Sanâa » de l’école d’Alger pour des raisons d’opportunité, tel qu’il a été décrit ci avant. Puis il adhéra dès son jeune âge au « Cercle du Croissant » dont il devint l’un des principaux animateurs jusqu’en 1946 date à laquelle il dut cesser toute activité pour raison de santé.
Aussi, contraint à une immobilité totale, il entreprit de meubler son temps en faisant profiter son entourage des techniques qu’il avait pu acquérir à force volonté dans ce noble art. C’est ainsi qu’il se mit à dispenser gracieusement, dans son propre domicile, des cours à de nombreux disciples au nombre desquels il faut citer Hadj Bouzidi BENSLIMANE, Hadj Mustapha BENHAMOU dit Sika, les cousins Abdelkader et Belahouel BELADJINE dits Boucif, Tedjini BERRAZEM, Mejdoub BENKHIRA, Benaïssa BOUTALEB, Noredine KOROGHLOU, Slimane BERBER et bien d’autres mélomanes de l’époque.
A gauche sur la photo, le bambin de six ans est l’Auteur
De ce point de vue, on peut dire que Si Habib BENTRIA est un pionnier en ce sens qu’il est le premier à avoir tenté d’implanter l’art de Ziryab et de Ibn Badja à Mostaganem. Et si les résultats obtenus ne sont pas à la mesure de son ambition et de ses efforts, son mérite n’en est nullement diminué, car il aura eu au moins l’avantage de préparer toute une génération de jeunes adeptes prêts à tous les sacrifices avec, à leur tête, un homme de la trempe de Hadj Bouzidi BENSLIMANE dont le rôle en faveur de la promotion de la musique andalouse dans la région sera déterminant comme il sera démontré ci-après.
A gauche sur la photo, le bambin de six ans est l’Auteur
(BENKRIZI Moulay) tenant un « tar » à la main, près
de son père Hadj Belahouel à la mandoline et Cheikh Hadj
Ghali Ould El-Bey au violon.
A droite Mohamed Benchougrani au banjo et à gauche
Bouziane Reguieg à la mandoline
De ce point de vue, on peut dire que Si Habib BENTRIA est un pionnier en ce sens qu’il est le premier à avoir tenté d’implanter l’art de Ziryab et de Ibn Badja à Mostaganem. Et si les résultats obtenus ne sont pas à la mesure de son ambition et de ses efforts, son mérite n’en est nullement diminué, car il aura eu au moins l’avantage de préparer toute une génération de jeunes adeptes prêts à tous les sacrifices avec, à leur tête, un homme de la trempe de Hadj Bouzidi BENSLIMANE dont le rôle en faveur de la promotion de la musique andalouse dans la région sera déterminant comme il sera démontré ci-après.
C’est en 1950 que s’éteindra à l’âge de quarante huit ans Si Habib BENTRIA, laissant derrière lui un bouillon de culture des plus favorables que les générations suivantes sauront mettre à profit dès les premières années de l’Indépendance du pays.
Pour ma part, je dois dire combien grand est mon regret de ne pas avoir connu cet homme si merveilleux, si généreux. Mais je bénis son âme pour le travail de préparation en profondeur qu’il s’imposa durant sa courte et pénible existence en prévision de l’avenir. Un avenir très proche où il était écrit qu’un jour, j’aurais personnellement un rôle à jouer, si modeste soit-il. Car il est un fait certain : Toute l’indifférence que j’éprouvais dans les années quarante cinq pour la musique andalouse n’était plus qu’un lointain souvenir de jeunesse. Elle a définitivement laissé place à une passion dévorante issue d’un coup de foudre indélébile pour un patrimoine fascinant qui n’a pas fini, jusqu’à ce jour, de me dévoiler ses secrets et ses mystères.
Et c’est ainsi que je fus amené sans trop le vouloir, à vouer un véritable culte pour la musique andalouse, sans toutefois renier pour rien au monde le genre « Moghrabi » appelé « Chaâbi » que je continue à affectionner comme aux tout premiers jours de mon adolescence.
Cependant la fameuse anecdote du mode Zidane relatée ci-dessus allait être à l’origine d’une longue et déférente amitié avec le Professeur BELHOCINE que j’ai retrouvé cinq années plus tard à Alger où je me trouvais en stage professionnel durant les mois de Mai et Juin 1957 à l’initiative de mon Administration fiscale. Dans quelles conditions ?
Un jour que je flânais paisiblement du côté de la rue Michelet, le hasard voulut que je fisse la rencontre d’un vieil ami Mostaganémois, Bouali KARA-MOSTEFA qui s’était fixé à Alger, avec toute sa famille, depuis plusieurs années. Il était technicien du son à … Radio Alger en langue Arabe installée à l’époque au rez-de-chausée de l’immense building du Gouvernement Général, rue Berthezen . Bien entendu il fut ravi de me revoir et me proposa même de lui rendre visite à son lieu de travail, ce que j’ai accepté sans hésitation. Rendez-vous fut pris pour le dimanche suivant où il était justement de service toute la journée jusqu’à dix huit heures.
Donc après un déjeuner pris à la hâte ce dimanche, au restaurant des P.T.T. derrière la Grande Poste, je me précipitai vers midi trente au poste de contrôle à l’entrée des studios en demandant à voir M. KARA ; lequel contacté par interphone, répondit immédiatement aux gendarmes de faction qu’ils pouvaient me laisser entrer.
Il était occupé à préparer la retransmission « en direct » du concert donné chaque dimanche de treize à quatorze heures par le grand orchestre classique sous la direction du Maître Abderrezak FAKHARDJI entouré par toutes les sommités que comptait la capitale en matière de musique Sanâa.
Parmi celles-ci il y avait bien sûr, Si Abderrahmane BELHOCINE que j’aperçus depuis la console technique où je me trouvais, à travers la vitre de séparation avec les studios d’émission. Grands sourires et salutations discrètes en attendant de se retrouver après la retransmission « en direct ». Je dois avouer que je n’ai aucune souvenance de la nouba au programme de ce dimanche-là, mais je sais seulement que le chanteur interprète du jour était Youcef KHODJA. Un vrai délice quoi !
Sitôt l’émission terminée, le Cheikh quitta promptement le studio et vint me saluer très amicalement, me demandant des nouvelles de plusieurs connaissances de Mostaganem, tout en évoquant une foule de souvenirs. Je fus même étonné de constater les grandes performances de sa mémoire, car il se souvenait parfaitement encore de cette fameuse anecdote du mode Zidane un certain soir de 1952.
C’était la toute première fois qu’il m’était donné d’assister à un concert diffusé en direct par la Radio. Il y en aura encore beaucoup d’autres tout au long des deux mois que durera mon séjour dans la capitale. D’autant plus que je venais d’être présenté par un de mes vieux collègues et amis de Mostaganem à l’un de ses cousins germains, du nom de M. El-Boudali SAFIR, Directeur artistique au niveau de Radio-Alger.
De plus, le hasard voulut que je fisse la connaissance d’un autre technicien du son à la Radio en la personne du Chahid Ali MAÂCHI qui reconnut un jour au restaurant mon père pour l’avoir rencontré quelques années auparavant à Tiaret, sa ville d’origine. Que Dieu accueille son âme avec sa très grande miséricorde !
Voici donc que les portes de Radio-Alger m’étaient désormais grand ouvertes et je puis vous assurer que je n’allais pas me priver de m’y rendre aussi souvent que mon emploi du temps me le permettait. L’occasion me fut ainsi donnée de me régaler à satiété en assistant à un grand nombre de concerts inhérents à tous les genres musicaux, aussi variés que compte notre patrimoine culturel : andalou, chaâbi, âsri-moderne, bédoui et kabyle dont les studios étaient contigus à la chaîne arabe, sur le même palier.
Nous étions donc en 1957. J’étais marié depuis une année et mon fils aîné Sidi Mohammed-Fodil était âgé de trois mois à peine. La tristement célèbre « Bataille d’Alger » engagée par les sinistres généraux MASSU et BIGEARD faisait rage et tenait la capitale algérienne dans une étreinte de fer et de feu impossible à imaginer. J’ai même été bien malgré moi, le témoin impuissant d’actions punitives organisées publiquement par des racistes « Pieds Noirs » sous le regard plus que bienveillant de l’armée d’occupation engluée dans sa mission de « pacification », et je puis vous assurer que plus d’une fois, je n’ai dû mon salut qu’à mon teint clair et mon faciès pouvant prêter à confusion.
Par ailleurs, le baccalauréat que j’avais réussi tant bien que mal à décrocher au mois de Juin 1954 me permit quand même de me présenter avec succès au concours de Contrôleur des Contributions Diverses dès l’année 1955.
Aussi, fort de cet acquis précieux, je pus même m’offrir le luxe de refuser le bénéfice de ce qu’on appelait la « promotion Lacoste » qui consistait à accorder à partir de 1957 aux « Français Musulmans » certains avantages tels que celui d’accéder à des grades supérieurs à ceux dont ils étaient titulaires dans l’administration. Je dois avouer que ceci constitue pour moi, jusqu’à l’heure actuelle, un motif de légitime fierté me permettant de proclamer haut et fort qu’en ce qui concerne ma carrière administrative du début jusqu’à la fin, je ne suis redevable d’aucune faveur à qui que ce soit. Rien à l’Administration française durant la période coloniale. Rien non plus à l’Administration algérienne depuis 1962 jusqu’à la date de ma mise à la retraite à compter du 31 Janvier 1992.
Sur ce point, j’insiste à dire qu’il est formellement établi que tous les postes et grades que j’ai occupés durant ma longue carrière administrative entre 1954 et 1992 ont été acquis par voie de concours officiels. Preuves à l’appui et documents en ma possession. Dont acte !
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